MODERNISMO

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MODERNISM

Si, depuis deux siècles au moins, rien n’est plus commun en littérature que l’aspiration à la modernité, il n’en est pas moins vrai que le mot modernismo (modernisme) évoque très particulièrement, depuis 1890 environ, un ensemble d’écrivains de langue espagnole qui ont choisi cette appellation pour manifester leur commune tendance à un renouvellement des thèmes et des formes.

On peut prendre comme point de départ de ce mouvement la période comprise entre 1880 et 1890. Ce n’est pas seulement la décennie où Rubén Darío publie son premier grand livre, Azul (Belu , 1888); c’est également l’époque où parviennent à l’âge adulte et produisent leurs premiers ouvrages ceux que l’on peut considérer comme les pionniers du modernismo : les Mexicains Salvador Díaz Mirón et Manuel Gutiérrez Najera, le Cubain Julián del Casal, le Colombien José Asunción Silva. On pouvait alors constater, sur le plan littéraire, dans la plupart des pays d’Amérique latine, une stagnation, ou même un recul de l’expression lyrique — alors que les prosateurs s’étaient engagés, avec un bonheur inégal, sur les voies du réalisme et du naturalisme. Sur le plan politique et social, à la faveur d’une relative accalmie dans la série de guerres et de coups d’État qui avaient marqué le premier demi-siècle d’indépendance, la grande bourgeoisie consolidait ses positions et connaissait une prospérité croissante. Entre ces deux séries de faits, ceux qui allaient brandir le drapeau de la révolution moderniste eurent tendance à voir un lien direct. Ils dénoncèrent dans le culte de la réussite matérielle une des causes du déclin littéraire et spirituel. Ils s’en prirent à certaine philosophie dite positiviste qui prévalait alors chez eux. Ils s’insurgèrent enfin contre l’influence envahissante de l’utilitarisme et du matérialisme scientiste des États-Unis. En somme, c’est au nom d’un idéalisme, éthique aussi bien qu’esthétique, que les poètes du clan moderniste s’efforcèrent de transcender leur milieu national et contemporain, pour puiser dans des pays lointains, des époques reculées et dans le monde enchanté du rêve de quoi satisfaire leur besoin d’évasion.

Cette évasion hors du quotidien traduisait aussi une profonde indifférence aux affaires publiques et à la condition des masses populaires. Rubén Darío écrivait ainsi dans une lettre au poète chilien Emílio Rodríguez Mendoza: «Si le socialisme en art me déplaît, ce n’est point parce qu’il représente une réaction contre l’oppression des temps modernes; mais c’est, comme nous le savons tous deux, parce que l’art est essentiellement aristocratique.» Certes, on pourrait trouver des tendances opposées chez plusieurs modernistes chiliens ou chez le Mexicain Díaz Mirón, grand admirateur du Victor Hugo humanitaire et socialisant; mais en majorité les émules et les disciples de Darío partagèrent cette conception de l’art au service de la seule beauté. Conception qui n’allait pas sans l’orgueil d’appartenir à une élite spirituelle et d’avoir reçu mission d’exercer un véritable sacerdoce.

Comme pour les tenants français de l’art pour l’art, cet esthétisme tendait au rapprochement et à la collaboration entre l’art littéraire et les arts plastiques (ainsi dans des poèmes comme Prométhée ou Salomé , le Cubain Julián del Casal disait s’être inspiré des tableaux de Gustave Moreau). D’autres poètes demandaient aux maîtres de la musique moderne (Wagner, Debussy) des thèmes et des effets transposables dans leur propre langue.

Un besoin d’échapper aux réalités du milieu national s’est encore traduit chez les modernistes par un cosmopolitisme culturel, parfaitement conscient et avoué. Tel d’entre eux, comme le Colombien Guilhermo Valencia, qui traduisit Oscar Wilde et Gabriele D’Annunzio, choisissait ses maîtres en Angleterre et en Italie. Tel autre, comme le Bolivien Ricardo Jaimes Freyre, allait chercher son inspiration dans les vieilles mythologies germaniques. Ce cosmopolitisme n’a guère dépassé les frontières de l’Europe (non hispanique), et parmi toutes les littératures européennes il a généralement témoigné d’une prédilection très marquée pour la littérature française.

Le cas de Darío est, à cet égard, exemplaire. S’il a pu se montrer épris d’autres cultures, de l’hellénisme notamment, ce fut, le plus souvent, par l’intermédiaire de la France: «Plus que la Grèce des Grecs, écrivait-il, me plaît la Grèce de la France, et Verlaine est pour moi beaucoup plus que Socrate.» Verlaine est, en effet, le poète français avec qui Darío se sentait les plus profondes affinités. Mais cette préférence avouée ne doit pas masquer le prestige que conservait à ses yeux Hugo, et l’attrait qu’exercèrent sur lui des personnalités aussi différentes que Leconte de Lisle et Lautréamont, Catulle Mendès et Léon Bloy. Le «gallicisme mental» confessé par Darío n’est guère moins notable chez des poètes légèrement postérieurs, tels que l’Argentin Leopoldo Lugones et l’Uruguayen Julio Herrera y Reissig — avec une prédilection, chez le premier, pour les parnassiens et pour Jules Laforgue; chez le second, pour Arthur Rimbaud et les symbolistes.

Les premières générations d’écrivains qui s’étaient succédé en Amérique hispanique depuis l’indépendance avaient maintes fois affirmé leur volonté de se soustraire à la tutelle linguistique et littéraire de l’Espagne mais n’en restaient pas moins tributaires de la tradition académique et rhétorique de la Péninsule. Les modernistes théorisèrent moins, mais firent davantage. En prose et en vers, ils tendirent, et réussirent souvent, à proscrire l’enflure oratoire, en même temps qu’ils assouplissaient la syntaxe et s’efforçaient, par différents moyens, de rendre la phrase plus légère et plus nuancée.

En matière de versification, les recherches et les expériences auxquelles ils se livrèrent ne sont pas moins dignes de remarque; et, là encore, ce fut Darío qui donna l’exemple. Son modernisme ne l’empêchait pas d’aller chercher les modèles dans le Moyen Âge espagnol, jusque chez Berceo, dont il fit revivre l’alexandrin de quatorze syllabes. Mais il introduisit également l’alexandrin à la française, accentué sur le douzième pied, ainsi que certains modes français de poèmes à forme fixe. Et tandis que l’opulence de ses rimes démontre l’influence du Parnasse français, celle du symbolisme n’apparaît guère moins dans sa recherche d’images vaporeuses et de sonorités fluides et douces. Ses émules ont pu recourir à d’autres précédés techniques; ils ont tous, peu ou prou, contribué à la rénovation de l’instrument poétique.

Assez vite le succès de Darío et de ses pairs se propage au-delà du continent où le modernisme avait pris naissance et, pour la première fois dans l’histoire, on vit un mouvement littéraire né en Amérique influencer directement les lettres espagnoles. Cela contribua à rapprocher, au moins sur le plan culturel, l’Espagne et ses anciennes colonies du Nouveau Monde. La guerre hispano-américaine de 1898 fit le reste. Les intellectuels d’Amérique hispanique, profondément affectés par la défaîte de la nation mère, partagèrent son ressentiment à l’égard de l’impérialisme yankee.

C’est aux environs de cette même année 1898 que l’on peut fixer la fin de la première phase du mouvement moderniste. La deuxième est caractérisée, dans l’ensemble, par l’abandon de l’esthétisme pur et par une prise de conscience des réalités politiques et sociales. À cette conversion spirituelle contribua, au premier chef, l’essayiste uruguayen Enrique Rodó (1872-1917), dont l’ouvrage en prose Ariel (1900) eut, dans cette deuxième période du mouvement, un retentissement comparable à celui qu’avait eu Azul dans la première.

Rodó ne s’est pas contenté de vitupérer, à son tour, le matérialisme nord-américain. Démocrate prudent mais sincère, il a tenté de promouvoir l’idée d’une Amérique hispanique unie, capable de communier dans le culte de valeurs autochtones à découvrir ou à créer. Aussi bien, dans cette deuxième phase, la poésie moderniste marque-t-elle un intérêt croissant pour les origines, le présent et l’avenir des civilisations hispano-américaines et pour l’idée-force d’un panaméricanisme latin.

Il s’en faut de beaucoup que les historiens de la littérature soient parvenus à un accord définitif sur le modernisme. Peu d’entre eux contestent son importance novatrice; en revanche, les opinions diffèrent sensiblement quant à sa nature, quant à ses points d’application et à sa situation géographique et chronologique.

Certes, la majorité s’accorde à situer en Amérique l’origine de ce mouvement; mais en Espagne beaucoup ont prétendu et prétendent encore qu’il a surgi simultanément dans les deux fractions, européenne et américaine, du monde hispanique. Cette thèse n’est guère soutenable. Si la poésie moderniste a compté en Espagne des représentants distingués, comme Salvador Rueda, Manuel Machado y Ruíz, Francisco Villaespesa, Tomás Morales et même, dans une certaine mesure, l’illustre Antonio Machado, le floruit de ces poètes, à l’exception du premier, est sensiblement postérieur aux premières manifestations du modernisme en Amérique.

Plus discutées encore sont les limites temporelles qu’il convient d’assigner au mouvement. Si l’on est à peu près unanime à placer dans les vingt dernières années du XIXe siècle sa naissance et sa phase ascendante, tant s’en faut qu’on soit également d’accord sur sa durée totale. Aujourd’hui on estime généralement qu’il n’a guère survécu à Rubén Darío et aux grands changements provoqués, même en Amérique latine, par la Première Guerre mondiale. Mais les auteurs ne manquent pas, tel Ricardo Gullón, qui le prolongent d’une ou deux décennies. Un tel prolongement n’a pour effet que d’en rendre la définition plus confuse. S’agissant d’une dénomination, non point forgée par la postérité, mais créée par des écrivains d’une certaine époque à leur propre usage, mieux vaut en restreindre l’application à ceux qui s’en sont expressément réclamés.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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